Martin Daniel Bell et Graham Mathew Inc. — 4 février 2011

Décision sur la conduite professionnelle

Qu'est-ce qu'une décision sur la conduite professionnelle?

Le BSF ouvre une enquête sur la conduite professionnelle d'un syndic autorisé en insolvabilité (SAI) lorsqu'il dispose d'information laissant croire que le SAI n'a pas rempli adéquatement ses fonctions, n'a pas administré un dossier comme il se doit ou n'a pas respecté la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (LFI).

Dans certains cas, les conclusions de l'enquête sont suffisamment graves pour donner lieu à une recommandation de sanction visant la licence d'un SAI [annulation ou suspension de la licence en vertu du paragraphe 13.2(5)] ou imposition de conditions ou de restrictions en vertu du paragraphe 14.01(1) de la LFI.

La décision sur la conduite professionnelle est assimilée à celle d'un office fédéral et peut faire l'objet d'un examen judiciaire par la Cour fédérale.

No : 08-03

Devant : M. James D. Callon, surintendant des faillites

Dans l'affaire de : l'instance en matière de conduite professionnelle menée en vertu de l'article 14.01 de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et l'instance concernant la suspension ou l'annulation d'une licence menée en vertu du paragraphe 13.2(5)

Entre :

Le Bureau du surintendant des faillites (« BSF »)

Requérant

—et—

Martin Daniel Bell, syndic individuel (licence no 2885)

—et—

Graham Mathew Inc. (« GMI »), titulaire d'une licence de syndic corporatif (licence no 3070)

Intimés

Parties inscrites au dossier

Bureau du surintendant des faillites
Me Taggart, avocat

Pour le requérant

Martin Daniel Bell
Graham Mathew
Inc. représentés par Martin Daniel Bell

Pour les intimés


Motifs de décision

Présentation du cas

  1. La décision porte sur un cas comprenant des allégations d'inconduite professionnelle visant les syndics susmentionnés. Ces allégations sont documentées dans le rapport d'enquête que M. David MacPherson, analyste principal des faillites, Bureau du surintendant des faillites (« BSF »), a remis au greffe des conduites professionnelles du BSF. Ce rapport est daté du .
  2. Le Bureau du surintendant des faillites a également avisé le surintendant et les parties que M. Martin Bell a été déclaré coupable d'infractions criminelles en lien avec des actes posés en qualité de syndic titulaire de licence.

Survol du processus d'examen de la conduite professionnelle

  1. Lorsqu'il est conclu qu'un événement, une plainte ou une série de questions justifient la tenue d'une enquête officielle sur la conduite professionnelle d'un syndic, une enquête peut être enclenchée en vertu de l'alinéa 5(3)e). Dans les affaires portant sur l'inconduite professionnelle, la responsabilité de gérer et de veiller à la supervision des enquêtes du BSF est déléguée au surintendant associé, en qualité d'agent supérieur du BSF. La délégation de responsabilités au surintendant associé respecte intégralement l'exigence voulant que le processus d'enquête soit séparé de la fonction de prise de décisions quasi judiciaires. Au BSF, la fonction de prise de décisions relève exclusivement du surintendant ou d'une personne indépendante (le délégué) nommée par le surintendant aux fins de trancher une question de conduite professionnelle comme le prévoit le paragraphe 14.01(2) de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (la LFI).
  2. Les analystes principaux des faillites sont des employés du BSF qui peuvent être désignés, par un directeur régional appelé « surintendant adjoint », pour mener des enquêtes en matière de conduite professionnelle. Lorsqu'il est désigné pour débuter une enquête, l'analyste principal des faillites avise le syndic par écrit qu'une enquête a été amorcée. Le pouvoir d'enquêter est délégué aux analystes principaux des faillites en vertu du paragraphe 14.01(2) de la LFI. L'enquête a comme objet d'examiner la conduite du syndic et de réunir les faits en lien avec la conduite. Une enquête peut comprendre un examen des dossiers d'actifs et des documents bancaires ainsi que de la correspondance, de contrats et de tout autre document pertinent qui pourrait avoir une incidence sur la ou les questions soulevées. Durant l'enquête, l'analyste principal des faillites peut également mener des entrevues.
  3. Une fois l'enquête terminée, une copie du rapport d'enquête de l'analyste principal des faillites ainsi que de tous les documents pertinents sur lesquels le BSF s'est appuyé est fournie au syndic. Ce dernier a alors la possibilité de déposer par écrit des observations et des objections concernant le contenu du rapport. Il peut également demander d'être entendu sur la question.
  4. Le rapport d'enquête est considéré comme un rapport visant à établir les faits, et il incombe au syndic de réfuter son contenu, ce qu'il peut faire en déposant par écrit ses observations ou ses objections. S'il en a fait la demande, le syndic a le droit de se faire entendre en vertu du paragraphe 14.02(1).
  5. à moins que le syndic conteste par écrit, ou dans le cadre d'une audience, les faits et les actes d'inconduite allégués dans le rapport d'enquête, ils sont considérés comme établis en preuve, et le surintendant peut se fonder sur ceux-ci pour déterminer s'il y a eu infraction à la LFI, ses règles ou les Instructions du BSF, et pour exercer les pouvoirs légaux que lui confère le paragraphe 14.01(1). Avant de rendre une décision, le surintendant doit examiner soigneusement la preuve qui a été présentée et il doit être convaincu que le contenu du rapport appuie les allégations sur une preuve adéquate.

Contexte

  1. Le , une licence de syndic individuel (no 2885) a été délivrée à Martin Daniel Bell.
  2. Le , il a commencé à exercer en vertu de la licence de syndic corporatif no 3070 qui avait été délivrée à Graham Mathew Inc.
  3. Le , le BSF a pris des mesures conservatoires qui ont donné lieu à une prise de possession, par le BSF, de tous les dossiers administrés par les intimés. Ces mesures visaient à assurer l'intégrité de toutes les transactions effectuées. Un syndic gardien a alors été nommé pour administrer les actifs et en compléter l'administration.
  4. Le , le BSF a commencé une enquête sur le fondement d'éléments de preuve voulant qu'il y ait eu falsification de chèques tirés sur des comptes en fiducie et omission de déposer des paiements comptants dans des comptes en fiducie. M. David MacPherson, analyste principal des faillites, a été désigné pour mener l'enquête sur la conduite professionnelle dans cette affaire. Par la suite, M. MacPherson a avisé M. Bell de l'enquête en lui faisant parvenir une lettre datée du .
  5. Le , les licences de Martin Daniel Bell et de Graham Mathew Inc. ont été annulées en vertu du paragraphe 13.2(3) de la LFI au motif que les droits de licence annuels y afférents n'avaient pas été payés
  6. Le , l'analyste principal des faillites a remis, au surintendant, un rapport d'enquête énonçant ses conclusions sur la conduite professionnelle de Martin Daniel Bell et de Graham Mathew Inc. Une copie du rapport d'enquête a été transmise aux intimés. Ce document était accompagné d'une demande de déposer par écrit leurs objections concernant le rapport. Or, ils ne l'ont pas fait.
  7. Le , le surintendant a tenu une conférence téléphonique avec les parties. Cette conférence devait permettre de discuter de la possibilité de tenir une conférence préparatoire à l'audience pour clarifier toute objection soulevée relativement au rapport d'enquête ainsi que pour déterminer si une audience était requise, et, dans l'affirmative, pour simplifier l'administration de l'audience en établissant au préalable la liste des témoins et des témoignages requis, en délimitant les points en litige, en préparant un exposé conjoint des faits et en concluant une entente sur la logistique de l'audience publique.
  8. Les et , M. Bell et Me Taggart, l'avocat du BSF, ont participé à la conférence préparatoire à l'audience, qui a été tenue à Toronto. à l'issue de la réunion, le , les parties ont signé un protocole d'entente. Le protocole énonçait l'entente intervenue par rapport à certains faits ainsi que certains points de désaccord, dressait la liste des témoins proposés et établissait la logistique de l'audience. Il y était également convenu que M. Bell aurait accès à ses dossiers de syndic que détenait le BSF par suite des mesures conservatoires susmentionnées. M. Bell pourrait ainsi clarifier les faits en litige. M. Bell s'est engagé à déposer ses objections par écrit concernant le rapport d'enquête au plus tard le , et il a convenu que l'omission de le faire signifiait que l'affaire pouvait conduire directement à une audience qui porterait uniquement sur le caractère adéquat des sanctions recommandées par le BSF. Si des objections étaient déposées, une audience serait tenue concernant les questions en litige. M. Bell a également convenu de tenir le surintendant informé de l'état des accusations criminelles déposées contre lui. Il a d'ailleurs confirmé que ces accusations étaient en partie liées à bon nombre des questions mentionnées dans le rapport d'enquête du BSF.
  9. Le , Me Taggart a remis d'autres observations au surintendant et aux intimés. Ces observations portaient sur l'invalidité des licences des intimés et sur les normes de conduite qui devraient s'appliquer si le surintendant envisageait de réactiver les licences invalides. Me Taggart a souligné le fait que les intimés n'avaient pas payé leurs droits de licence, et qu'en conséquence, les licences n'étaient pas valides. Dans ses observations, Me Taggart mentionnait aussi que, le , M. Bell avait été déclaré coupable d'inconduite comme comptable agréé par l'Institut des comptables agréés de l'Ontario. Le rapport d'enquête du BSF contenait une copie de la décision de l'Institut des comptables agréés de l'Ontario. Me Taggart a également fait valoir que M. Bell devait encore répondre à plusieurs accusations criminelles en lien avec ses activités de syndic. Compte tenu de tous ces faits, l'avocat du BSF a prétendu qu'abstraction faite des décisions prévues en matière de conduite professionnelle sous le régime de l'article 14.01, les licences annulées ne devraient pas être réactivées si les critères énoncés dans l'Instruction no 13R2 du surintendant et le paragraphe 13.2(5) étaient appliqués. Par conséquent, les licences étant déjà annulées, il a conclu que [TRADUCTION] « la seule question à trancher est celle du remboursement ».
  10. M. Bell a accusé réception des observations de l'avocat du BSF datées du 8 juillet. M. Bell avait jusqu'au 28 juillet pour répondre, et aucune réponse n'a été déposée. Le greffier aux conduites professionnelles du BSF a adressé un deuxième avis écrit à M. Bell. Cet avis l'informait que, si aucune observation écrite de sa part n'était reçue au plus tard le , le surintendant prendrait l'affaire en délibéré.
  11. Le , Me Taggart a envoyé une lettre au surintendant et à M. Bell. Dans cette lettre, il rapportait avoir été avisé que M. Bell avait reconnu sa culpabilité à l'égard de plusieurs accusations criminelles le . Me Taggart a exprimé la position suivante :

    [TRADUCTION]

    Que le surintendant ait l'intention de résoudre la présente affaire en appliquant les dispositions relatives à la délivrance de licences ou les dispositions relatives à la conduite professionnelle de la LFI, il semblerait que la seule question importante à résoudre est celle du remboursement. Étant donné qu'aucune « objection écrite » n'a été déposée, nous prétendons que les syndics ne peuvent contester le quantum des pertes et que, par conséquent, le remboursement, aux actifs pertinents, des montants inscrits dans l'annexe A ci-jointe peut être ordonné conformément à l'un ou à l'autre des régimes sur le fondement du paragraphe 13.2 (7) dans un cas, et de l'alinéa 14.01(1)f) dans l'autre.
  12. Le , le greffier aux conduites professionnelles du BSF a avisé M. Bell que, compte tenu du protocole d'entente signé le 15 juin 2010, l'affaire pouvait faire l'objet d'une audience portant uniquement sur la question des sanctions. Il a été demandé à M. Bell de confirmer au greffier, au plus tard le , s'il souhaitait ou non qu'une audience soit tenue. M. Bell a également été avisé que le surintendant prévoyait qu'en l'absence de réponse, il instruirait l'affaire en se fondant sur le dossier écrit, il annulerait les licences des intimés et il ordonnerait le remboursement.
  13. à ce jour, M. Bell n'a pas déposé d'objections par écrit conformément au protocole d'entente du 15 juin, et il n'a pas déposé d'observations par écrit en réponse aux observations déposées par l'avocat du BSF; il n'a pas tenu le surintendant au courant de l'état des accusations criminelles déposées contre lui; il n'a pas confirmé qu'il était nécessaire de tenir une audience; et il n'a pas non plus répondu lorsqu'il a été avisé que le surintendant prévoyait rendre une décision.

Décision

  1. Comme il a été expliqué brièvement dans la description de la série d'événements
    ci-dessus, M. Bell a amplement eu la possibilité d'examiner les allégations énoncées dans le rapport d'enquête et dans les observations déposées ultérieurement par le BSF. Il a constamment fait fi des délais généreux qui lui ont été accordés pour déposer une réponse détaillée.
  2. M. Bell s'est vu accorder la possibilité de faire tenir une audience, mais il n'en a rien fait.
  3. Puisque les intimés n'ont présenté aucun élément de preuve contradictoire qui mette en doute le bien-fondé du rapport d'enquête, la présente décision s'appuie sur la seule preuve que constituent le rapport d'enquête et les documents qui y sont annexés en ce qui concerne l'inconduite des intimés.
  4. Je ne reproduirai pas la longue liste d'allégations et d'éléments de preuve documentaires que l'on retrouve dans le rapport d'enquête. Les allégations que je considère comme prouvées figurent aux pages 11, 15, 17 et 26 à 28 du rapport d'enquête daté du 18 décembre 2009.
  5. De plus, j'accepte également comme établie par une preuve écrite l'allégation que les intimés ont pris le montant total de 28 218,28 $ dans les actifs identifiés dans le rapport d'enquête, conformément aux indications de ce rapport. La ventilation du montant de 28 218,28 $ présentée par l'avocat du BSF a été reproduite dans l'annexe A jointe à la présente décision. Ce montant doit être remboursé pour être replacé dans les actifs indiqués.
  6. Conformément au paragraphe 14.01(1), je conclus que les intimés n'ont pas rempli adéquatement leurs fonctions de syndics, qu'ils sont coupables de mauvaise administration des actifs confiés à leur gestion et qu'ils n'ont pas observé intégralement la LFI, les Règles générales et les Instructions, comme le précise et le prouve le rapport d'enquête.
  7. Vu les conclusions que je tire sous le régime de l'article 14.01, il n'est pas nécessaire de traiter d'autres questions en regard du paragraphe 13.2(5).

Ordonnance

  1. Après avoir adressé un avis écrit aux intimés en vertu du paragraphe 14.02(1), je soussigné, James D. Callon, surintendant des faillites, prononce la présente décision en vertu des pouvoirs légaux que me confère le paragraphe 14.01(1) de la LFI, pour ordonner ce qui suit :

    Les licences de syndic de Martin Daniel Bell et de Graham Mathew Inc. sont annulées à compter de la date de la présente décision;

    Les syndics Martin Daniel Bell et Graham Mathew Inc. rembourseront, conformément à l'alinéa 14.01(1)f) de la LFI, le montant de 28 218,28 $ aux actifs mentionnés dans l'annexe A. Le montant intégral doit être versé au BSF sans délai;

    Conformément au paragraphe 14.02(3), le nom des actifs mentionnés dans l'annexe A ne sera pas divulgué afin de protéger la vie privée des personnes concernées.

Signé à Ottawa, en Ontario, le

espace pour la signature
James D. Callon
Surintendant des faillites

Observations

  1. En examinant la preuve présentée dans le rapport d'enquête, j'ai constaté que certains collègues et associés de M. Bell avaient remarqué une inconduite grave de la part de M. Bell dès 2004. Rien n'indique que ces personnes ont signalé cette inconduite ou ces comportements potentiellement illégaux au BSF ou à une autre autorité pendant les trois ans qui ont suivi. Selon le rapport d'enquête, l'inconduite n'a été signalée au BSF qu'en août 2007. Le rapport comprend des notes d'entrevues tenues avec des collègues de M. Bell. L'extrait suivant d'une de ces notes d'entrevue contient une admission importante :

    [TRADUCTION]

    J'ai remarqué que le syndic prenait de l'argent à l'automne de 2004. Il empruntait habituellement de 50 $ à 100 $, mais il remboursait l'argent quelques jours plus tard. Toutefois, avec le temps, le syndic a pris des montants de plus en plus importants, et il lui fallait de plus en plus de temps pour les rembourser. Plus tard, l'argent pris n'a plus été remboursé, comme je l'indique dans mon courriel du 7 septembre 2006.

    L'omission de signaler un tel comportement met en doute l'intégrité des personnes qui étaient au courant des actes illégaux. On pourrait peut-être supposer que ces personnes ont omis de signaler les comportements par loyauté ou parce qu'elles craignaient des représailles ou croyaient que le syndic corrigerait ses écarts de conduite. Quelle que soit l'excuse invoquée, elle est inacceptable.

  2. à mon sens, l'intégrité du système d'insolvabilité dépend dans une large mesure du comportement éthique de ceux qui occupent des postes de confiance. Lorsqu'une inconduite grave est évidente, un acte doit être posé pour signaler l'écart à l'organisme de réglementation. L'organisme de réglementation sera alors en mesure de commencer une enquête ou une investigation.
  3. Le BSF doit continuer à promouvoir ses attentes d'une culture de respect des règles et de comportement éthique en veillant à ce qu'il existe des moyens précis et connus de signaler des cas d'inconduite lorsqu'ils sont observés ou qu'ils deviennent évidents pour d'autres personnes.

Signé à Ottawa, Ontario, le 4 février 2011

espace pour la signature
James D. Callon
Surintendant des faillites


Le présent document a été reproduit dans sa version originale, telle que fournie par le surintendant des faillites.